[Rois maudits 5] la louve de france by Maurice Druon

[Rois maudits 5] la louve de france by Maurice Druon

Auteur:Maurice Druon [Druon, Maurice]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Histoire
ISBN: 9782253004066
Publié: 1959-01-20T23:00:00+00:00


II

RETOUR À NEAUPHLE

Était-elle donc si petite, la maison de banque de Neauphle, et si basse l’église de l’autre côté du minuscule champ de foire, et si étroit le chemin montant qui tournait pour aller vers Cressay, Thoiry, Septeuil ? Le souvenir et la nostalgie agrandissent étrangement la réalité des choses.

Neuf années écoulées ! Cette façade, ces arbres, ce clocher, venaient de rajeunir Guccio de neuf années ! Ou plutôt non ; de le vieillir, au contraire, de tout ce temps écoulé.

Guccio avait retrouvé instinctivement son geste de jadis pour s’incliner en passant la porte basse qui séparait les deux pièces de négoce du comptoir, au rez-de-chaussée. Sa main avait cherché d’elle-même la corde d’appui, le long du madrier de chêne qui servait d’axe à l’escalier tournant, pour monter à son ancienne chambre. Ainsi, c’était là qu’il avait tant aimé, comme jamais avant, comme jamais depuis !

La pièce exiguë, collée sous les solives du toit, sentait la campagne et le passé. Comment un logis si resserré avait-il pu contenir un aussi grand amour ? Par la fenêtre, à peine une fenêtre, une lucarne plutôt, il apercevait un paysage inchangé. Les arbres étaient fleuris en ce début de mai, comme au temps de son départ, neuf ans plus tôt. Pourquoi les arbres en fleurs dispensent-ils toujours une si forte émotion ? Entre les branches des pêchers, roses et arrondies comme des bras, apparaissait le toit de l’écurie, cette écurie dont Guccio s’était enfui devant l’arrivée des frères Cressay ! Ah ! La belle peur qu’il avait eue cette nuit-là !

Il se retourna vers le miroir d’étain, toujours à la même place sur le coffre de chêne. Chaque homme, au souvenir de ses faiblesses, se rassure à se regarder, oubliant que les signes d’énergie qu’il lit sur son visage ne font impression qu’à lui-même, et que c’est devant les autres qu’il fut faible ! Le métal poli aux reflets de grisaille renvoyait à Guccio le portrait d’un garçon de trente ans, brun, avec une ride assez profondément creusée entre les sourcils, et deux yeux sombres dont il n’était pas mécontent, car ces yeux là avaient vu déjà bien des paysages, la neige des montagnes, les vagues de deux mers, et allumé le désir dans le cœur des femmes, et soutenu le regard des princes et des rois.

… Guccio Baglioni, mon ami, que n’as-tu continué une carrière si bellement commencée ! Tu étais allé de Sienne à Paris, de Paris à Londres, de Londres à Naples, à Lyon, à Avignon ; tu portais messages pour les reines, trésors pour les prélats. Pendant deux grandes années tu as circulé ainsi, parmi les plus grands seigneurs de la terre, chargé de leurs intérêts ou de leurs secrets. Et tu avais à peine vingt ans ! Tout te réussissait. Il n’est que de voir les attentions dont on t’entoure à présent, au retour de neuf années d’absence, pour juger des souvenirs que tu as laissés. Le Saint-Père lui-même te le prouve. Aussitôt qu’il te sait de retour



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